par Torsten Schwanke
CHANT I
Chanson d‘amour, de Jean.
Qu'il me baise des baisers de sa bouche! Car ton amour est meilleur que le vin!
Tes parfums ont une odeur suave, ton nom est une huile épandue; c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment!
Entraine-moi après toi; courons! Le poète m'a fait entrer dans ses appartements; nous tressaillirons, nous nous réjouirons en toi: nous célébrerons ton amour plus que le vin. Qu'on a raison de t'aimer!
JEANINE:
Je suis brune mais belle, filles de Paris, comme les tentes des bergers, comme les pavillons du rokkoko.
Ne prenez pas garde à mon teint brune, c'est le soleil qui m'a brûlée; les fils de ma mère se sont irrités contre moi; ils m'ont mise à garder des vignes; ma vigne, à moi, je ne l'ai pas gardée.
Dis-moi, ô toi que mon coeur aime, où tu mènes paître tes brebis, où tu les fais reposer à midi, pour que je ne sois pas comme une égarée, autour des troupeaux de tes compagnons.
CHOEUR
Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, sors sur les traces de ton troupeau, et mène paître tes chevreaux près des huttes des bergers.
A ma cavale, quand elle est attelée aux chars du roi, je te compare, ô mon amie.
Tes joues sont belles au milieu des colliers, ton cou est beau au milieu des rangées de perles.
Nous te ferons des colliers d'or, pointillés d'argent.
JEANINE:
Tandis que le poète était à son divan, mon nard a donné son parfum.
Mon bien-aimé est pour moi un sachet de myrrhe, qui repose entre mes seins.
Mon bien-aimé est pour moi une grappe de Cythère, dans les vignes du Provence.
JEAN:
Oui, tu es belle, mon amie; oui, tu es belle! Tes yeux sont des yeux de colombe.
JEANINE:
Oui, tu es beau, mon bien-aimé; oui, tu es charmant! Notre lit est un lit de verdure.
JEAN:
Les poutres de nos maisons sont des pins; nos lambris sont des épinettes.
CHANT II
JEANINE:
Je suis le narcisse des Cevennes, le lis des vallées.
JEAN:
Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes fllles.
JEANINE:
Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les hommes. J'ai désiré m'asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon palais.
Il m'a fait entrer dans son cellier, et la bannière qu'il lève sur moi, c'est la charité.
Soutenez-moi avec des gateaux de raisin, fortifiez-moi avec des pommes, car je suis malade d'amour!
Que sa main gauche soutienne ma tête, et que sa droite me tienne embrassée!
JEAN:
Je vous en conjure, filles de Paris; par les gazelles et les biches des champs; n'éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu'elle le veuille.
JEANINE:
La voix de mon bien-aimé! Voici qu'il vient, bondissant sur les montagnes, sautant sur les collines.
Mon bien-aimé est semblable à la gazelle, ou au faon des biches. Le voici, il est derrière notre mur, regardant par la fenêtre, épiant par le treillis.
Mon bien-aimé a pris la parole, il m'a dit: Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Car voici que l'hiver est fini; la pluie a cessé, elle a disparu.
Les fleurs ont paru sur la terre, le temps des chants est arrivé; la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans nos campagnes.
Le figuier pousse ses fruits naissants, la vigne en fleur donne son parfum. Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Ma colombe, qui te tiens dans la fente du rocher, dans l'abri des parois escarpées. montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix; car ta voix est douce, et ton visage charmant.
Prenez-nous les renards, les petits renards, qui ravagent les vignes, car nos vignes sont en fleur.
Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui, il fait paitre son troupeau parmi les lis.
Avant que vienne la fraicheur du jour, et que les ombres fuient, reviens! Sois semblable, mon bien-aimé, à la gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes ravinées.
CHANT III
JEANINE:
Sur ma couche, pendant la nuit, j'ai cherché celui que mon coeur aime; je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé.
Levons-nous, me suis-je dit, parcourons la ville; les rues et les places, cherchons celui que mon coeur aime. Je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé.
Les gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville: Avez-vous vu celui que mon coeur aime?
A peine les avais-je dépassés, que j'ai trouvé celui que mon coeur aime. Je l'ai saisi et je ne le lâcherai pas, jusqu'à ce que je l'aie introduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m'a donné le jour.
JEAN:
Je vous en conjure, filles de Paris, par les gazelles et les biches des champs, n'éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu'elle le veuille.
CHOEUR:
Quelle est celle-ci qui monte du sud, comme une colonne de fumée, exhalant la myrrhe et l'encens, tous les aromates des marchands?
Voici le palanquin de Jean; autour de lui, soixante braves, d'entre les vaillants de la France.
Tous sont armés de l'épée, exercés au combat; chacun porte son épée sur sa hanche, pour écarter les alarmes de la nuit.
Le poète Jean s'est fait une litière des bois du Fontainebleau.
Il en a fait les colonnes d'argent, le dossier d'or, le siège de pourpre; au milieu est une broderie, oeuvre d'amour des filles de Paris.
Sortez, filles de Paris, et voyez le poète Jean; avec la couronne dont sa mère l'a couronné, le jour de ses épousailles, le jour de la joie de son coeur.
CHANT IV
JEAN:
Oui, tu es belle, mon amie; oui, tu es belle Tes yeux sont des yeux de colombes derrière ton voile; tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, suspendues aux ftancs de la montagne de Ventoux.
Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues; qui remontent du lavoir; chacune porte deux jumeaux, et parmi elles il n'est pas de stérile.
Tes lèvres sont comme un fil de pourpre, et ta bouche est charmante; ta joue est comme une moitié de grenade, derrière ton voile.
Ton cou est comme la tour d‘Eiffel, bâtie pour servir d'arsenal; mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des braves.
Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une gazelle, qui paissent au milieu des lis.
Avant que vienne la fraicheur du jour, et que les ombres fuient, j'irai à la montagne de la myrrhe, et à la colline de l'encens.
Tu es toute belle, mon amie, et il n'y a pas de tache en toi!
Avec moi, viens du Pyrenées, ma fiancée, viens avec moi du Pyrrenées! Regarde du sommet du Pic de midi, du sommet du Ventoux et Montblanc, des tanières des lions, des montagnes des léopards.
Tu m'as ravi le coeur, ma soeur fiancée, tu m'as ravi le coeur par un seul de tes regards, par une seule des perles de ton collier.
Que ton amour a de charme, ma soeur fiancée! Combien ton amour est meilleur que le vin, et l'odeur de tes parfums, que tous les aromates!
Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée, le miel et le lait sont sous ta langue, et l'odeur de tes vêtements est comme l'odeur de la lavande.
C'est un jardin fermé que ma soeur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée.
Tes pousses sont un bosquet de grenadiers, avec les fruits les plus exquis; le cypre avec le nard.
Le nard et le safran, la canelle et le cinnamome, avec tous les arbres à encens, la myrrhe et l'aloés, avec tous les meilleurs baumiers.
Source de jardins, puits d'eaux vives, ruisseau qui coule du Ventoux.
JEANINE:
Levez-vous aquilons.Venez autans! Soufflez sur mon jardin, et que ses baumiers exsudent! Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu'il mange de ses beaux fruits!
CHANT V
JEAN:
Je suis entré dans mon jardin, ma soeur flancée, j ai cueilli ma myrrhe avec mon baume; j'ai mangé mon rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin avec mon lait! Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés.
JEANINE:
Je dors mais mon coeur veille. C'est la,voix de mon bien-aimé! Il frappe: Ouvre-moi, ma soeur, mon amie, ma colombe, mon immaculée; car ma tête est couverte de rosée; les boucles de mes cheveux sonf trempées des gouttes de la nuit.
J'ai ôté mon habillement, comment la remettre? J'ai lavé mes pieds, comment les salirais-je?
Mon bien-aimé a passé la main par le trou de la serrure, et mes entrailles se sont émues sur lui.
Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé, et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe exquise, sur la poignée du verrou.
J'ouvre à mon bien-aimé; mais mon bien-aimé avait disparu, il avait fui. J'étais hors de moi quand il me parlait. Je l'ai cherché, et ne l'ai pas trouvé; je l'ai appelé, il ne m'a pas répondu. Les gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville; ils m'ont frappée, ils m'ont meurtrie;
Ils m'ont enlevé mon manteau, ceux qui gardent la muraille.
Je vous en conjure, filles de Paris, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direz-vous? Que je suis malade d'amour!
CHOEUR:
Qu'a donc ton bien-aimé de plus qu'un autre bien-aimé, ô la plus belle des femmes? Qu'a donc ton bien-aimé de plus qu'un autre bien-aimé, pour que tu nous conjures de la sorte?
JEANINE:
Mon bien-aimé est frais et vermeil; il se distingue entre dix mille.
Sa tête est de l'or pur, ses boucles de cheveux, flexibles comme des palmes, sont noires comme le corbeau.
Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux, se baignant dans le lait, posées sur les rives.
Ses joues sont comme des parterres de baumiers, des carrés de plantes odorantes; ses lèvres sont des lis, d'où découle la myrrhe la plus pure.
Ses mains sont des cylindres d'or, émaillés de pierres du Pyreneées; son sein est un chef-d'oeuvre d'ivoire, couvert de saphirs.
Ses jambes sont des colonnes d'albatre, posées sur des bases d'or pur. Son aspect est celui du Fontainebleau, élégant comme le pin.
Son palais n'est que douceur, et toute sa personne n'est que charme. Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, filles de Paris.
CHANT VI
CHOEUR:
Où est allé ton bien-aimé, la plus belle des femmes? De quel côté ton bien-aimé s'est-il tourné, pour que nous le cherchions avec toi?
JEANINE:
Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, aux parterres de baumiers, pour faire paître son troupeau dans les jardins, et pour cueillir des lis.
Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi; il fait paître son troupeau parmi les lis.
JEAN:
Tu es belle, mon amie, comme Avignon, charmante comme Paris, mais terrible comme des bataillons.
Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent! Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, suspendues aux flancs de la montagne du Ventoux.
Tes dents sont comme un troupeau de brebis, qui remontent du lavoir; chacune porte deux jumeaux; et parmi elles, il n'est pas de stérile.
Ta joue est comme une moitié de grenade, derrière ton voile.
Il y a soixante femmes, quatre-vingts concubines, et des jeunes filles sans nombre!
Une seule est ma colombe, mon immaculée; elle est l'unique de sa mère, la préférée de celle qui lui donna le jour. Les jeunes filles l'ont vue et l'ont proclamée bienheureuse; les femmes et les concubines l'ont vue et l'ont louée:
Quelle est celle-ci qui apparait comme l'Aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil, mais terrible comme des bataillons?
J'étais descendu au jardin des noyers, pour voir les herbes de la vallée, pour voir si la vigne pousse, si les grenadiers sont en fleurs.
Je ne sais, mais mon amour m'a fait monter sur les chars de ma grande nation.
CHANT VII
CHOEUR:
Reviens, reviens, Jeanine! Reviens, reviens, afin que nous te regardions.
JEANINE:
Pourquoi regardez-vous Jeanine, comme une danse de ventre?
CHOEUR:
Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, princese! La courbure de tes reins est comme un collier, oeuvre d'un artiste.
Ton nombril est une coupe arrondie, où le vin aromatisé ne manque pas. Ton ventre est un monceau de froment, entouré de lis.
Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une gazelle.
Ton cou est comme une tour d'ivoire; tes yeux sont comme les piscines du Lourdes, près de la porte de cette ville populeuse. Ton nez est comme la tour d‘Eiffel, qui surveille le côté de Paris.
Ta tête est posée sur toi comme les Alpes, la chevelure de ta tête est comme la pourpre rouge; un poète est enchaîné à ses boucles.
JEAN:
Que tu es belle, que tu es charmante, mon amour, au milieu des délices!
Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à ses grappes.
J'ai dit: je monterai au palmier, j'en saisirai les régimes. Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, le parfum de ton souffle comme celui des pommes.
Et ton palais est comme un vin exquis!
JEANINE:
Qui coule aisément pour mon bien-aimé, qui glisse sur les lèvres de ceux qui s'endorment.
Je suis à mon bien-aimé, et c'est vers moi qu'il porte ses désirs.
Viens, mon bien-aimé, sortons dans les champs; passons la nuit dans les villages.
Dès le matin nous irons aux vignes, nous verrons si la vigne bourgeonne, si les bourgeons se sont ouverts, si les grenadiers sont en fleurs; là je te donnerai mon amour.
Les mandragores font sentir leur parfum, et nous avons à nos portes tous les meilleurs fruits; les nouveaux et aussi les vieux: mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi.
CHANT VIII
JEANINE:
Ah! que ne m'es-tu un frère, qui aurait sucé les mamelles de ma mère! Te rencontrant dehors, je t'embrasserais, et on ne pourrait me mépriser.
Je t'amènerais, je t'introduirais dans la maison de ma mère: tu m'enseignerais; et je te ferais boire du vin aromatisé, le jus de mes grenades.
Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite me tient embrassée.
JEAN:
Je vous en conjure, filles de Paris, n'éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée; avant qu'elle le veuille.
CHOEUR:
Quelle est celle-ci qui monte du sud, appuyée sur son bien-aimé?
JEAN:
Je t'ai réveillée sous le pommier; là, ta mère t'a conçue; là, elle t'a conçue, là, elle t'a donné le jour.
Mets-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras; car l'amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme la mort. Ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de Dieu.